Armand De Las Cuevas a été très certainement le meilleur coureur que le CCM47 a possédé dans ses rangs et ce n’est pas faire affront à tous les autres. Il avait une classe évidente, était-il nonchalant, je ne le pense pas, il était simplement différent et avait un peu de mal à entrer dans le moule de tous les bien-pensants.
Et dire qu’Armand souhaitait se diriger vers la boxe, à 20 ans il était inscrit dans une salle à Floirac et il boxait pour préparer sa saison…tiens, tiens, cela ne vous rappelle pas un coureur actuel ayant sensiblement le même caractère !!!
Armand aime remercier son entraineur Victor Caneiro, il se rappelle de leur complicité. C’est ce dernier qui est allé rendre visite à Dominique Arnaud (ancien professionnel chez Reynolds disparu récemment en juillet) qui l’a fait engager comme pro avec un contrat de trois ans à la clef. C’est encore le même Dominique qui l’a fait signer chez Guimard dans la grande équipe Castorama. Et jamais deux sans trois, le toujours fidèle Dominique lui a proposé son dernier contrat pro au sein d’une équipe italienne Amica Chipo.
Quoi de mieux pour évoquer Armand que le très bel article paru en 1995 dans Libération et signé de Jean-Louis Le Touzet :
Portrait
Armand de las Cuevas cultive sa non-différence. Rien n'énerve plus le coureur de Castorama que la réputation de marginal du peloton qui colle à son maillot.
Par Jean-Louis Le Touzet — 14 juillet 1995
Saint-Etienne,
Envoyé spécial Il a filé en douce en laissant le peloton ensommeillé à ses douleurs montagnardes. Dans la plaine industrielle qui enfume Grenoble, son avance est mince, mais son coup de pédale est rond. Armand de las Cuevas roule droit, profite de l'ombre des marronniers et de Rolf Aldag, de Telekom, qui vient de se coller dans sa roue. Le coureur de Castorama tient là une chance de tordre le cou à la poisse qui le poursuit depuis sa chute dans les Quatre Jours de Dunkerque, en mai dernier. Clavicule cassée, il ordonne, le lendemain de l'opération, qu'on lui livre dans sa chambre un home-trainer. On s'efface devant l'insistance bêcheuse. Lui assure qu'il courra le Giro le mois suivant: «C'est impossible que je ne prenne pas le départ, je n'ai jamais cessé de m'entraîner. Je me suis toujours fixé des lignes de conduite et je n'en bouge pas.» On crie alors au fou chez Castorama. Après quatre jours de course dans le Tour d'Italie, le Français abandonnera au bord de l'Adriatique, le nez dans le vent du large: «Mon corps a dit stop», lâche-t-il, soûl de fatigue et de douleur.
Pascal Dubois, manager adjoint de l'équipe Castorama, dessine au fusain le fichu caractère du surdoué du cyclisme français: «On a bien essayé de le raisonner. Mais ça ne servait à rien. Il avait décidé de courir le Giro. On s'est inclinés. Je ne sais pas ce qui se serait passé si on le lui avait interdit...» A 27 ans, ni capitaine de route, ni véritable leader, Armand de las Cuevas est dans son équipe un «coureur protégé», explique Pascal Dubois, qui jongle avec les nuances en serrant les dents.
Avec ses cheveux chiffonnés qui coulent en cascade, la casquette bleue à la visière relevée et les lunettes bombées qui cachent des yeux caverneux, de las Cuevas a de faux airs de Jean Robic. Dans le peloton, il promène son regard brun sourcilleux et son corps taillé pour la lutte. En 1991, excédé, il boxe un coureur colombien. Il est viré du Giro sur-le-champ: «C'était une connerie, mais il m'avait cherché. J'assume.» Depuis, le champion de France 1991 porte comme une bannière une épaisse réputation de marginal. Quand ça lui tombe dans les oreilles, il se fout en rogne: «Tout ça, c'est des conneries de journalistes. Je ne sais pas d'où ça vient. On prétend que je suis un mec à part, mais un marginal ne fait pas de vélo. Se faire mal, c'est pas un truc de marginal. Qui a déjà vu un marginal vivre en famille? Parce qu'une équipe, c'est comme une famille.» Il se retourne vers son soigneur, roule des yeux inquisiteurs: «Hein, Jean, est-ce que je suis différent des autres coureurs?» L'autre sourit en rangeant ses pommades: «Non, non Armand, t'es comme les autres.» De las Cuevas, satisfait: «Ben, tu vois.»
Lui qui a mal épousé le vélo «C'est mon père qui m'a mis dessus à 12 ans. Je n’étais pas trop d'accord, puis ensuite ça m'a plu» a fait fondre sous les premiers coups de pédale ses rêves pugilistiques. Il se voyait boxeur puncheur. La bicyclette a fait de lui un styliste et un redoutable coureur de contre-la-montre. Chez les amateurs, agitateur de peloton, il tape dans l'œil de José-Miguel Echavarri, le mentor de Miguel Indurain. Trois ans d'apprentissage sur les routes de Navarre et de Galice, à courir la prime et à bûcher le castillan, et à pester parfois contre un père espagnol oublieux de ses origines. Mais Indurain se fâche tout rouge. Il supporte peu l'indépendance du Français et fait rompre son contrat.
En 1993, Armand de las Cuevas disparaît pour un temps du paysage cycliste, puis signe chez Castorama. Entre Cyrille Guimard, le manager général à l'esprit fort, et de las Cuevas, l'orage éclate. Coincé dans le compromis, les non-dits et les grosses fâcheries, Armand de las Cuevas pédale seul.
Scrupuleux comme un moine copiste, il fait le compte de ses douleurs entre douche et massage. «Ça sert à quoi d'avoir du talent si tu as peur de la souffrance? Le vélo, ça fait mal, c'est la seule chose que tu saches quand tu commences.» Depuis le départ du Tour, il pilote dans le gras du peloton ses dernières illusions de beau coureur. «Je vise le général», disait-il. Il pointe aujourd'hui à la 56e place, à une heure et cinq minutes de son ancien leader. «Je suis à ma place. Je ne vois rien à redire à ça. Je retrouve peu à peu mes sensations. Mais j'ai débuté le Tour dans une forme médiocre. Ça ne pardonne pas.»
Il ramasse sa lourde chaîne au bout de laquelle balance un christ d'argent et détaille sa ligne de vie: «Je ferai du vélo tant que je me sentirai bien. Jusqu'à 35 ans et plus. Rominger, lui, on ne lui demande jamais son âge, il continue à pédaler et ça doit en emmerder certains.» Un mécano passe par là: «Ah, Armand, on dit beaucoup de choses sur lui. C'est le coureur le plus courageux que je connaisse. Quand ça ne va pas, il ne se plaint jamais. Mais on voit bien qu'il souffre. Même pour son vélo, c'est pareil, il ne fait jamais de reproches. C'est bien simple, les grands coureurs ne se plaignent jamais.»
De las Cuevas jette un regard sur les plaies qui couturent ses bras. «Je ne crains pas les chutes, ça fait partie des risques. Moi, c'est la maladie qui m'angoisse, la fièvre qui te prend comme ça, qui te diminue et qui t'oblige à lâcher prise. Moi, j'appelle ça les coups du sort. C'est ce qu'il y a de pire pour un coureur.» Hier, lâché dans le col de la Croix de Chabouret par ses compagnons d'échappée, de las Cuevas a senti le souffle chaud du peloton qui revenait sur lui. Cinquième de l'étape, il a ensuite raconté des histoires d'attaques boomerang qui avortent, puis a confié son corps déjà assoupi aux mains du masseur. Ensuite, il s'est endormi, paisible cycliste, le christ collé sur le front par la sueur.
PALMARES