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=► Cyclisme: messieurs les coureurs RESPECT !

Article écrit par le médecin du sport : Jean-Jacques Menuet

 

Pourquoi le coureur cycliste mérite le respect …

Présent sur ce Tour de France 2016 en qualité de médecin d’équipe, je tiens à partager avec vous une réflexion qui s’impose : le coureur cycliste mérite le respect !!

Je suis proche de 2 sports : le cyclisme et la boxe ; 2 sports qui regroupent des sportifs au mental particulier : la culture de la souffrance, sublimée par des capacités psychologiques hors-normes.

Arrivée de Paris-Roubaix, les gars ont tout donné, les visages sont marqués, parfois des coureurs ont chuté et sont meurtris ; et souvent un coureur en montant dans le bus après l’arrivée m’interroge : « alors jjdok, t’as passé une bonne journée ? » …

Arrivée d’une course dure, en montant les marches pour accéder à la réception de l’hôtel un jeune coureur néo-professionnel se plaint à voix haute « j’ai les jambes défoncées » ; Francis Moreau, coureur robuste et endurci lui adresse un propos véhément, accompagné d’une bonne claque dans le dos : « mon gars si tu te plains d’avoir mal aux pattes, change de sport, je ne veux plus t’entendre te plaindre »…

Championnats de France sur piste (en bois) à Hyères ; chute d’un pistard (j’accompagne l’équipe de Picardie en qualité de médecin), qui rentre dans ses cuisses des dizaines d’échardes, dont certaines épaisses et longues de plusieurs centimètres ; il prend sa douche, se savonne, brosse ses plaies … aieee …. ; il s’allonge, je m’apprête à retirer une par une chaque écharde ; « allez Jean-Jacques vas-y, pas d’anesthésie, t’inquiète pas, fonce !! » ; j’ai eu plus mal que lui pendant l’heure passée à le soigner…

Chute d’un coureur de notre équipe  « Fortunéo Vital Concept » en début de saison : fracture de la clavicule, nombreuses plaies au niveau des jambes, et une « sale » plaie au niveau d’un flanc ; je suis présent à ses côtés pendant toute la soirée où les soins sont prodigués aux urgences de l’hôpital local ; 2 infirmières anesthésistes et un chirurgien font les sutures : les 3 en même temps !! A un moment Pierre-Luc se permet une réflexion, avec le sourire : « euhhh s’il vous plaît, vous ne pouvez pas y aller un par un car là, 3 sutures en même temps, j’ai un peu mal » !!

Fracture de la clavicule pour un coureur, 4 à 5 semaines plus tard il est sur son vélo.

Ce Tour de France 2016 est mon 15ème grand Tour, pour l’instant notre équipe est épargnée par les chutes; j’ai observé des choses incroyables : la volonté d’arriver à Paris et de participer à la fête sur les Champs Elysées est telle que le coureur peut surpasser bien des souffrances : une fracture de côte, un ongle incarné qui nécessite qu’on découpe la chaussure, une plaie profonde suturée au niveau d’une fesse (le chirurgien acceptant de suturer sous anesthésie locale, un plan superficiel et un plan profond, car une anesthésie générale aurait condamné le coureur à ne pas prendre le départ le lendemain)  J’ai été confronté à des situations parfois limites dans mon rôle et ma responsabilité de médecin ; si un coureur doit pour raison de santé quitter le Tour de France c’est toujours un drame.

Souffrir avec le sourire … La douleur est physique et réelle, la souffrance est définie comme étant l’interprétation de la douleur ; en forçant le trait, si je donne une claque à un pianiste il y a des chances qu’il pleure, si je donne une claque à un boxeur il reste imperturbable. Pendant l’effort la libération cérébrale d’endorphines atténue la perception de la douleur, mais la culture de la douleur chez le cycliste l’amène à sublimer mentalement cette douleur : « plus fort que la douleur »

Ce sport individuel qu’est le cyclisme est aussi un sport d’équipe, j’ai vu après l’arrivée des équipiers pleurer de joie après avoir fait gagner le sprinter.

Le coureur est souvent meurtri dans sa chair : les chutes sont fréquentes, avec des conséquences bien connues : fractures du scaphoïde, fractures de la clavicule, fractures du bassin, parfois des polytraumatismes. Même s’il a été victime de nombreuses chutes, il remonte sur le vélo et retrouve la confiance.

Le coureur organise sa vie autour de sacrifices familiaux : 80 à 100 jours de course par an, des déplacements, des nuits passées dans des hôtels, des stages, des entraînements structurés ; la rigueur nutritionnelle à laquelle il s’astreint l’amène à réaliser aussi des sacrifices, même si ma position en qualité de nutritionniste me fait conseiller une nutrition variée et équilibrée.

Certains médias et pseudo observateurs ont gravé dans le cerveau du public que tous les coureurs sont dopés, qu’on ne peut pas faire le Tour de France sans se doper ; je passe mon chemin, je ne dépense pas d’énergie à chercher à contredire ces convictions. Je sais ce que je fais, Je sais ce que je ne fais pas, je sais que la grande majorité des gars font leur boulot avec respect pour leur corps ; ma confiance n’est toutefois pas aveugle, j’imagine bien évidemment que certains trichent, comme d’autres sportifs trichent dans d’autres sport, tout comme n’importe qui peut tricher dans sa vie perso ; et bien sûr je n’ai aucun respect pour les sportifs qui trichent, même si en qualité de médecin je n’ai pas à juger; aux coureurs qui observent que manifestement certains ne jouent pas le jeu je réponds « concentre toi sur ce que tu fais, ta passion, le respect de ton corps, on ne s’occupe pas des autres, ne perd pas de jus à te révolter » J’évoque cette problématique du dopage car il est psychologiquement difficile de s’épanouir dans son sport quand on est sous le feu de la suspicion.

Depuis 25 années je suis présent dans le peloton, j’aime à dire que je partage une tranche de vie avec les gars, parfois avant pendant puis après leur carrière ; j’ai croisé et je croise des champions, comme des coureurs au potentiel limité ; j’ai pour tous le même respect, je leur offre la même écoute bienveillante.

Cette capacité à surmonter la douleur physique et mentale est un peu en décalage avec l’évolution de notre société : cocooning, contournement et évitement des difficultés, hésitations à s’engager ; il est plus confortable pour un jeune sportif de s’orienter vers d’autres sports que le vélo, ou de ne pas faire de sport. Et pourtant, cette force mentale va constituer très souvent un atout considérable pour la vie personnelle et professionnelle du coureur après sa carrière.

Messieurs les coureurs respect !! Et bien sûr mes propos concernent tout autant les cyclistes féminines.

Jean-Jacques MENUET